En Franche-Comté, deux villages différents peuvent s’enorgueillir de vivre à l’ombre de leur château de Vaite.
Il y a, bien sûr, celui que nous connaissons tous mais, à quelques kilomètres de Besançon, dominant la vallée du Doubs, sur la commune ce Champlive en direction de Laissey, subsistent les ruines du Château de Vaite.
Qu’il y ait deux lieux avec des châteaux de la même époque, dont l’un a d’ailleurs été ruiné au cours de la Révolution française, pose des questions aux historiens.
Quand Vaite était Vayte
Ceux qui s’intéressent au haut Moyen Age connaissent Othon Ier de Vayte né vers 1160 dont la fille Marguerite s’est mariée vers 1205 avec Jean de Beaujeu-Seveux. On retrouve leur descendance jusqu’à Gauthier ou Wauthier de Vayte seigneur de Chazeuil (près de Fontaine-Française) né vers 1430. Chacun s’accorde à affirmer que la famille possédait alors la seigneurie de notre Vaite de Haute-Saône. Qu’en était-il de la seigneurie de Champlive ?
A cette époque, les armes des Vayte étaient l’exact contre champ des armes des Vergy dont le blasonnement était “De Gueules à trois quintefeilles d’or”. Il n’en fallait pas plus pour affirmer que les Vayte étaient une branche cadette de la grande famille des Vergy.
De plus, il se trouve que les Vayte du Doubs arboraient les mêmes armes “D’or à trois quintefeilles de Gueules” que les Vayte de notre département.
Il est donc possible que les deux seigneuries, et leurs deux châteaux, fussent aux mains de la même famille, hypothèse d’autant plus séduisante qu’aujourd’hui, le blason de la commune de Champlive est identique !
Armes de la famille de Vayte inversées de celles de la famille de Vergy, blason actuel de la commune de Champlive (et également de la commune d'Avanne-Aveney aux portes de Besançon)
Le Blason des Vergy
Il est de gueules à trois quintefeuilles d’or
En clair, il est rouge et présente trois fleurs géométriques à cinq pétales de couleur jaune.
La famille de Vergy appelait ces fleurs des roses. Il s’agit en réalité des fleurs jaunes plus ou moins en forme de cœur d’une petite plante quasiment rampante de la famille botanique des rosacées, la potentille, dont le nom vient du latin potentia qui se traduit par puissance.
Une si petite plante vivant au ras du sol mais pleine de puissance… quel symbole, surtout si l’on pense que le mot potence est aussi la traduction de potentia !
De nos jours, quelques familles du Doubs et de la Haute-Saône portent encore le patronyme de Vayte.
Quand “Alle Man” était baron
Ceux qui s’intéressent aux personnages comtois qui ont constitué l’entourage de Charles Quint ne savent pas toujours à quel Vaite se vouer ! En effet, un certain Jean Lallemand (aussi appelé Alle Man) né à Dole en 1470 mourut à Montigny-lès-Arsures (près d’Arbois) 90 ans plus tard en 1560 avec le titre de baron de Vayte, mais quel Vayte ?
Il était devenu comte palatin du Saint Empire en 1523 et la vie du comte vaut d’être contée :
Jean Lallemand est né dans une famille bourgeoise et son père lui fait faire des études de droit à l’Université de Dole. On dit qu’il aurait également, dans sa jeunesse, été au service de la très jeune Marguerite d’Autriche qui, promise au futur roi de France Charles VIII fut installée, dès l’âge de 3 ans, à la cour de France.
Nicolas de Granvelle remarque le jeune étudiant et l’installe à nouveau auprès de Marguerite à Bruxelles alors que ses fiançailles viennent d’être brutalement rompues par la régente de France Anne de Beaujeu, fille de Louis XI, qui préfère marier son petit frère avec Anne de Bretagne.
On dit que le coup est rude pour le parti bourguignon et la pauvre Marguerite mais on dit aussi que le jeune Jean Lallement sut habilement panser les plaies familiales…
Ce qui est certain c’est qu’en remerciement de ses loyaux et efficaces services, il reçoit, à 20 ans en 1490, l’autorisation d’acheter la seigneurie de Vayte pour laquelle il peut porter le titre de baron.
C’est le début d’une ascension qui va porter notre Jean aux sommets. En 1520 il est secrétaire de Charles Quint, inspecteur général du royaume d’Aragon et des Deux Siciles puis premier secrétaire de l’Empereur. Il est créé comte palatin en 1523 puis devient secrétaire d’État l’année suivante. On l’appelle désormais Jean de Lallemand.
C’est cette année là qu’il épouse à Burgos, Anne la fille de Philippe de Hanneton personnage considérable de l’entourage de Charles Quint.
Fin politique, son intelligence et sa souplesse le rendent très vite influent…et riche ! Il achète la baronnie de Bouclans puis la seigneurie de Montigny-lès-Arsures, celle de Longepierre, Belmont les Dole, Tavaux et bien d’autres.
Très habile diplomate, il est nommé en 1526 ambassadeur plénipotentiaire pour le traité de Madrid qu’il rédige lui-même en français et qui permet à François Ier d’être libéré alors qu’il était prisonnier aux mains de Charles Quint depuis la bataille de Pavie.
La Roche Tarpéienne est près du Capitole
En 1528, très en vue au sein de la faction bourguignonne des Granvelle, Renard, Richardot… il est la cible d’intrigues et accusé de trahison et trafic d’influences, il ne bénéficie plus de la protection de son beau-père qui vient de décéder. Il est démis de ses fonctions puis banni de la cour.
C’est Nicolas Perrenot de Granvelle qui va lui succéder et il se retire sur ses terres comtoises. Il achète le château de Montigny, est nommé chanoine de Besançon et vit très confortablement pendant de longues années au sein de la haute noblesse influente comtoise.
Lui qui, comme le dit sa devise, ne faisait jamais Rien à demi, décède en 1560 après 32 ans d’une retraite active et très fructueuse. Il est inhumé avec son épouse sous un magnifique mausolée dans l’église de Bouclans. L’édifice est détruit à la Révolution. On ne meurt que deux fois !
Le château de Vayte est-il à Vaite (Haute-Saône) ou à Vaite (Doubs) ?
Laquelle des deux seigneuries Jean Lallemand a-t-il acheté en 1490 ?
Aurait-il fait l’acquisition des deux domaines ?
Appartenaient-ils à la même noble famille comtoise alliée aux Vergy ?
Beaucoup de questions et une certitude
Il existe aujourd’hui à Champlive une Auberge du Château de Vaite qui, dit-on, est une des meilleures tables spécialistes de grenouilles de la Franche-Comté.
Jean-Pierre Vienney mars 2025