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Le Vannon

Le Vannon

Histoire(s) de la vallée de la Saône et du Vannon


Il s'appelait Jacinthe Muguet

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 2 Janvier 2023, 16:13pm

Il s'appelait Jacinthe Muguet

Dans les archives numérisées de la Ville de Besançon (memoirevive.besancon.fr) existe un catalogue des œuvres du peintre Melchior (dit Jean) Wyrsch. On peut y voir une photographie sépia d’un de ses tableau peint vers 1775-80.

Ce frais tableau, gentiment rococo que ni Jean-Antoine Watteau ni Jean-Honoré Fragonard n’auraient renié, représente, dans un style typiquement rocaille, un jeune flutiste au port de petit marquis comme on les aimait à l’époque. Il s’intitule : Muguet de Nanthou.

Le peintre suisse Melchior Wyrsch, que tout le monde à Besançon appelle Jean Wyrsch, fut installé à Besançon avec son associé Luc Breton. Ils dirigeaient une école-académie de peinture et sculpture entre 1773 et 1785.

Le peintre suisse Melchior Wyrsch, que tout le monde à Besançon appelle Jean Wyrsch, fut installé à Besançon avec son associé Luc Breton. Ils dirigeaient une école-académie de peinture et sculpture entre 1773 et 1785.

La biographie de François Muguet a fait l'objet d'une conférence donnée à Soing en janvier 2023. 

Vous pouvez accéder au diaporama Powerpoint de cette réunion

en cliquant sur ce lien ou continuer la lecture du compte rendu édité par

“l'Association des amis de nos vieux villages”.

La Famille

Un jeune homme un peu fleur bleue :

L’adolescent au doux visage aux traits fins, éclairé par un léger sourire, s’appelle François-Félix-Hyacinthe Muguet de Nanthou.

François-Félix-Hyacinthe nait à Besançon le 20 septembre 1760 dans une famille fortunée de la bonne société bisontine.  Il a deux frères :  Félix né en 1757, Denis Louis né en 1758 et une sœur Denise Charlotte Victoire née en 1759.

Malheureusement, sa mère, Jeanne-Claude Rambaud, décède le 4 décembre 1760 alors que François-Félix-Hyacinthe n’a que 2 mois et demi.  

Le père : Un Muguet au parfum de scandale.

Prénommé également François (1731-1794) il appartient à une famille venue de la région lyonnaise bien installée dans la bourgeoisie bisontine. Il exerce diverses fonctions dans la ville. Il a acheté en 1762 une charge de chauffe-cire (officier chargé de sceller les actes officiels) auprès de la Chancellerie du Parlement de Franche-Comté. Il prend ensuite le titre d’écuyer en achetant la coseigneurie de Nanthou.

Personne ne sait avec précision si cette seigneurie correspond au village de Nantoux à 3 km de Pommard près de Beaune ou s’il s’agit du château de Nantou dans le village de Pourrain peu éloigné d’Auxerre.

François Muguet n’avait acheté que la demi-seigneurie et il la “reprend à fief” le 10 mars 1789…on peut difficilement faire pire !

 Il semble qu’il ait exercé des fonctions de négociant et à l’occasion de banquier auprès des maîtres de forges franc-comtois. Cette activité lui sera d’ailleurs reprochée en 1783.

Cette année-là, c’est la crise dans la métallurgie. Les affaires des maîtres de forges franc-comtois sont mauvaises. Elles souffrent de la baisse des commandes de l’état qui a de très importants problèmes financiers. Le budget militaire est en forte baisse, les fournisseurs sont payés avec beaucoup de retard. Les maîtres de forges aux abois font circuler entre eux des effets de commerce qui ne pourront être honorés. S’en suit une série de faillites en cascade dans lesquelles le père de François-Félix-Hyacinthe semble avoir joué un rôle déterminant. La catastrophe économique fait grand bruit. La rumeur publique s’en empare puis l’affaire s’éteint sans qu’on connaisse exactement les responsabilités des uns et des autres.

L’oncle : la fine fleur de la société de l’ancien régime.

Claude-François Muguet-Destavayer exerce la profession de Secrétaire du Roi à la Grande Chancellerie. Il est un des 300 titulaires d’une très convoitée (et donc très chère) charge de haut magistrat auprès du ministère de la justice. Un de ses confrères n’est autre que Pierre Augustin Caron de Beaumarchais. Il est évidement installé à Paris ce qui va permettre au jeune François-Félix-Hyacinthe d’effectuer d’excellentes études au très huppé collège d’Harcourt où a été formée l’élite de l’administration et de la magistrature française. Le collège d’Harcourt est devenu après 1793 le lycée Saint-Louis. François-Félix-Hyacinthe terminera ses études de droit à l’université de Paris et après un court passage au barreau de Besançon, achètera la charge d’avocat du roi au présidial de Gray pour acquérir ensuite en 1782 la charge de lieutenant civil de la même ville. Il y exerce une fonction qui tient de celle de procureur et de sous-préfet. La distinction entre le pouvoir judiciaire et exécutif est assez floue à cette époque.

La tante : dans de beaux draps… fleuris!

Marie Muguet (1740-1812) est mariée à Charles Fourier (né le 4 janvier 1732 à Dampierre sur Salon) et décédé le 22 juillet 1781 à Besançon. Le couple est négociant-marchand de draps à Besançon et ils ont six enfants dont un fils François Marie Charles.

La famille Fourier tenait commerce de “rouennerie” à Besançon

La famille Fourier tenait commerce de “rouennerie” à Besançon

Le cousin : La fleur du vinaigre !

  
Né en 1772 et qui décèdera en 1832, Charles fera beaucoup parler de lui en fondant une école de pensée politique issue du saint simonisme très critique sur l’activité commerciale qu’il nomme par dérision : “la pratique mercantile”. Il est à l’origine d’expériences de socialisme utopique. Ses projets de phalanstères connaitront un certain succès au cours du XIXème siècle avant d’être oubliés.

Le parrain du célèbre Charles Fourier n’est autre que François Muguet le père de notre cher Hyacinthe et il est possible que le scandale des effets de commerce douteux dont il vient d’’être question ait eu une influence non négligeable sur les théories fouriéristes et l’aversion de leur auteur pour le commerce !

Charles Fourier (1772-1837)

Charles Fourier (1772-1837)

L’épouse : 

En décembre 1782, dès qu’il est confortablement installé à Gray, François-Félix-Hyacinthe décide de se marier. Son épouse est Anne-Claude Caron fille de Pierre Caron (1727-1782) maître de forges à Seveux et de Marie-Thérèse Braconnier (1735-1797) qui porte le titre de Dame de Soing et de Tavannes. C’est elle qui fait don à sa fille de la superbe demeure de Soing.

Le couple aura une fille Marie-Thérèse qui nait le 29 novembre 1783.

Anne Claude décèdera dans son château de Soing le 12 août 1831.

Anne Claude Caron (1755-1831)

Anne Claude Caron (1755-1831)

Acte de décès d'Anne Claude à Soing en 1831

Acte de décès d'Anne Claude à Soing en 1831

La fille : mourir à la fleur de la jeunesse, une fatalité familiale.

Marie-Thérèse se marie à Soing le 3 octobre 1810 avec Marc-Antoine Falatieu (1774-1855) membre de l’importante famille des maîtres de forges. François-Félix-Hyacinthe est décédé depuis deux ans. Le couple aura une fille prénommée Anne Marie Joséphine qui nait le 8 janvier 1812…quelques jours avant le décès de Marie-Thérèse survenu le 31 janvier à 29 ans au même âge que son aïeule !

Autour de François Félix-Hyacinthe, on aura donc vu sa mère puis sa fille mourir en couche !

La jeune Marie Falatieu (1812-1877) unique petite fille de François-Félix-Hyacinthe se mariera avec Hyppolite Barberot d’Autet. Le couple aura une fille Marie Barberot d’Autet qui se mariera avec Jean Marie Pantaléon René De Bréda…Mais ceci est une autre histoire !

 

Mariage Falatieu Muguet à Soing en 1810

Mariage Falatieu Muguet à Soing en 1810

La Politique

Et nous voilà arrivés, comme une fleur, en 1788 !

Muguet de Nanthou a 28 ans. Il travaille avec un confrère magistrat qui exerce la fonction de lieutenant criminel au Baillage Présidial de Gray. C’est Claude Christophe Gourdan né à Champlitte le 1er novembre 1744 qui est donc âgé de 44 ans. Membre très actif des clubs progressistes, il exerce une influence déterminante sur son entourage. C’est lui qui décidera Claude Pierre Dornier à entrer en politique. Il est un des principaux rédacteurs des cahiers de doléances du Baillage de Gray.

A Paris, il fait partie des clubs politiques naissants. Il fréquente le club Breton, qui prendra ensuite le nom de Société des Amis de la Constitution. C’est lui qui trouvera et louera plus tard la salle du couvent des Jacobins qui donnera son nom au club du même nom. Succédant à la Société des Amis de la Constitution, ce club va siéger dans ces lieux, et être très influent jusqu’en 1794.

C’est Gourdan qui anime avec zèle le club des Jacobins de Haute-Saône et avec un tel collègue, Muguet de Nanthou ne peut qu’adhérer aux idées nouvelles.

En 1787-88, ils militent ensemble pour obtenir la convocation des Etats Provinciaux dans une ambiance déjà agitée après diverses tentatives des décideurs nationaux ou régionaux pour organiser un embryon de démocratie.

Claude Christophe Gourdan (1744-1804)

Claude Christophe Gourdan (1744-1804)

Louis XVI et Necker espèrent que l’élan populaire va se faner.

Necker propose dès 1787 de créer des Assemblées Provinciales, d’autres souhaitent revenir aux États Provinciaux. Le Parlement de Besançon de son côté désirait surtout ne pas être écarté des futures décisions et maintenir un statut quo qu’il trouvait satisfaisant. C’est le comte Joseph Luc Jean-Baptiste Hippolyte De Mareschal De Vezet, seigneur de Vezet, Les Bâties et Vaux dont la fortune a permis qu’il achète la charge de Président à mortier du Parlement qui est à la manœuvre. Le moins qu’on puisse dire est qu’il ne brille pas par sa volonté de progrès. En particulier, il est très attaché au vieux principe de la mainmorte issue de l’époque où la Franche-Comté était de droit espagnol, sujet d’une très forte crispation de la part des membres du Tiers-État.

Le Président de Vezet peint par Melchior Wyrsch

Le Président de Vezet peint par Melchior Wyrsch

Finalement, les tentatives de réunions régionales de 1787 et 1788 n’aboutiront pas, les uns ou les autres trouvant le moyen de bloquer les évènements. Muguet de Nanthou est déjà très actif et semble à l’aise dans ces manœuvres.

La Franche-Comté et ses bailliages sous l’ancien régime Roland Fiétier, Histoire de la Franche-Comté, 1977

La Franche-Comté et ses bailliages sous l’ancien régime Roland Fiétier, Histoire de la Franche-Comté, 1977

A la fin de l’année 1788, on ne tourne plus autour du pot, on va vers l’organisation d’États Généraux.

Louis XVI n’a plus d’autre échappatoire, il est finalement contraint par la situation économique catastrophique du royaume et par les errements des autorités régionales et locales. Il accepte de réunir les États Généraux et les convoque dans une lettre datée du 24 janvier 1789. Les modalités de désignation des délégués sont complexes mais précises. Elles ont été âprement négociées mais mécontentent évidement le Parlement de Besançon. Elles sont finalement acceptées non sans mal, il devait y avoir 3 députés pour chaque ordre mais le Tiers-État obtient un doublement de sa délégation. Ils seront 6.

Il y aura plus de 1000 délégués qui vont siéger à partir du 5 mai 1789 à Versailles. Le Bailliage d’Amont en enverra 12.

“Douze hommes en colère” ou “Treize à table”, Il est intéressant de connaitre la liste des 13 élus pour les 12 députations.

 

Les 3 députés de la Noblesse :

Jean-Xavier Bureau de Pusy. Officier du Génie, il est né à Port-sur-Saône le 7 janvier 1750. Il est élu député de la noblesse mais se ralliera au Tiers-État avec 48 autres députés, dès le 25 juin. Il présidera l’assemblée en février 1790.

Charles Marie Pierre Félix Masson chevalier d’Esclans Capitaine des dragons il est né le 30 mai 1763 à Esclans et vivait au château de Saint Loup les Gray dont il fut maire.

Hippolyte Jean René Marquis de Toulongeon. Colonel de Cavalerie et Maréchal de camp, il donna sa démission d’une assemblée où il se sentait mal à l’aise le 15 janvier 1790 et est remplacé par son suppléant :  Philibert Ignace Rémy Boniface Gabriel Raclet baron de Mercey Capitaine des dragons, il est né le 17 mai 1756, il avait peu le gout de la politique et ne termina pas la législature.

 

Les 3 députés du Clergé :

Pierre-François Clerget. Curé d’Ornans, il est né à Besançon le 20 décembre 1745 et est député… du clergé ! Il prêta le serment constitutionnel en 1790 et abdiquera la prêtrise en 1793.

Claude Bénigne Lompré. Chanoine du chapitre de l’église collégiale de Champlitte il est né le 18 décembre 1745 à Champlitte. Il émigra en 1792 pour ne pas prêter serment. C’est lui qui baptisa Louis Pasteur le 25 janvier 1822 alors qu’il était devenu curé de Dole.

Claude Germain Rousselot. Curé de Thiénans, il est né le 17 juillet 1723 à Authoison et se ralliera au Tiers-État le 16 juin.

 

Les 6 députés du Tiers-État :

Claude Alexis Cochard. Avocat au baillage Présidial de Vesoul et maire de Vesoul, il est né à Vesoul le 1er mai 1743 et est Député du Tiers-État. Il figure parmi les signataires du serment du Jeu de Paume.

Pierre Antoine Durget. Avocat au Parlement de Besançon, né le 24 mars 1745 à Vesoul, Député du Tiers-État, il est signataire du serment du jeu de Paume.

Claude Christophe Gourdan. Avocat puis lieutenant criminel au Baillage Présidial de Gray, il est né le 1er novembre 1744 à Champlitte.

François Félix Hyacinthe Muguet de Nanthou. Avocat du Roi puis lieutenant civil au baillage présidial de Gray il est né à Besançon le 20 septembre 1760

Antoine François Pernel. Notaire royal à Moffans ancien maire de Lure né le 27 novembre 1733 à Lure.

Claude François Roux de Raze est lieutenant général du baillage Présidial de Vesoul est né le 20 juin 1758 à Besançon.

Tous les mêmes !

On est immédiatement frappé par la proximité sociale de ces personnages. Les six représentants du Tiers-État sont tous juristes : magistrats, avocats ou notaires. Les nobles sont, évidement, militaires mais ils vivent aussi à proximité les uns des autres. La région grayloise est largement représentée dans les trois ordres.

Il se ressemblent comme des frères :

Bureau de Pusy et Muguet de Nanthou, du haut de leur jeunesse conquérante sont de noblesse récente, ont fait des études brillantes et disposent… d’une fortune conséquente ! Ils finiront d’ailleurs par se rejoindre sur les bancs du Tiers-État.

Certais auteurs du XIXème siècle les confondent dans la liste des députés et ne savent plus lequel des deux est élu de la noblesse !

Les six membres du Tiers-État signeront tous le serment du Jeu de Paume du 20 juin 1789 qui transforme les États Généraux en Assemblée qui jure d’imposer une constitution au roi.

Jean-Xavier Bureau de Pusy

Jean-Xavier Bureau de Pusy

1789...L’été sera chaud : faire de la France la fleur de la civilisation.

Le 17 juin, les États Généraux se déclarent Assemblée Nationale.

Le 20 juin, réunis dans le gymnase habituellement utilisé pour le jeu de paume, non loin du château de Versailles, 576 députés, essentiellement du Tiers-État mais accompagnés de quelques membres du clergé et de la noblesse, se font le serment de ne pas se séparer avant l’élaboration d’une constitution. Tous pensent instaurer une royauté constitutionnelle mais personne n’imagine que c’est une république qui va naître dans la douleur quelques années plus tard.

Le 27 juin, le roi accepte la fusion des trois ordres ce qui marque la fin de l’absolutisme monarchique. C’est la nation qui devient titulaire du pouvoir, le roi n’en est plus que le représentant.

Le 14 juillet ont lieu les évènements populaires parisiens sur lesquels il est inutile de revenir.

Du 4 au 11 août : Dans la chaleur de la nuit, des députés à fleur de peau !

La nuit du 4 août

La nuit du 4 août

Encore sous le coup des émeutes sanglantes du 14 juillet, l’Assemblée nationale Constituante entame les discussions qui vont amener aux décrets des 4 au 11 août sur l’abolition des privilèges. 

L’assemblée “détruit” le régime féodal en abolissant symboliquement, dans son article premier, le privilège de “main-morte” qui, de fait, n’existe déjà plus qu’en Franche-Comté.

Elle décide, dans son article deux de mettre fin au privilège de posséder un pigeonnier et dans son article trois d’en terminer avec le droit exclusif de la chasse.

Rien que des symboles qui nous semblent très futiles de nos jours…mais quelle portée historique !!

Il s'appelait Jacinthe Muguet

La première page des décrets d’abolition des privilèges

(Article premier sur la mainmorte, article 2 les pigeonniers et 3 la chasse !)

On lit au début de l’article premier :

“L’Assemblée Nationale détruit entièrement le régime féodal, et décrète que dans les droits et devoirs tant féodaux que censuels, ceux qui tiennent à la main-morte réelle ou personnelle, et à la servitude personnelle, et ceux qui les représentent, sont abolis sans indemnité…”

 

C’est bien la mainmorte, qui n’est déjà plus pratiquée qu’en Franche-Comté, qui reste le symbole de la servitude et de la soumission d’une partie de la population.

L’assujétissement du serf à la terre du seigneur n’est plus toléré et n’est d’ailleurs plus pratiqué que dans certains villages comtois avec le soutien aveugle d’un parlement provincial qui a toujours refusé farouchement toute avancée sur ce point.

Le 22 août, Muguet de Nanthou écrit une lettre à Necker dont nous allons reparler.

Le 26 août, la rédaction de la Constitution commence et son préambule de 17 articles devient la Déclaration des Droits de l’Homme. Un des plus grands textes jamais écrits.

A l’automne, le travail de rédaction du texte constitutionnel est inachevé. Les débats sont très laborieux et le texte n’est voté que le 3 septembre 1791.

Le roi ne jurera fidélité à la constitution qu’à ce moment.

Il est inutile de dire que pour les élus comtois, la victoire est totale mais les années qui vont suivre seront difficiles. Nombreux seront ceux qui penseront, à tort ou à raison que les députés de la Constituante n’ont pas voulu abolir la royauté. Leur tiédeur révolutionnaire leur sera souvent reprochée.

L’Assemblée Nationale Constituante décide de se séparer avec le sentiment du devoir accompli le 30 septembre 1791 mais l’œuvre constitutionnelle mort née ne survivra pas à la fuite du roi et son arrestation à Varennes le 21 juin 1791 ni aux évènements qui ont suivi, donnant de ce fait raison aux critiques !

La première page de la première édition de la Constitution

La première page de la première édition de la Constitution

 

La Lettre

Muguet pense faire une fleur à Necker.

C’est donc le 22 août 1789, au beau milieu de ces évènements historiques que Muguet de Nanthou écrit une curieuse lettre à Jacques Necker qui vient d’être rappelé au pouvoir pour la troisième fois le 16 juillet et qui porte le titre de “Premier ministre des Finances” de Louis XVI.

Le texte intégral de la lettre à Necker se trouve en annexe 1.

Hyacinthe constate que les décisions nouvelles vont avoir un effet délétère. Un grand nombre d’emplois administratifs liés à l’ancien régime vont malheureusement disparaitre. Les commis des fermiers généraux, les clercs et les greffiers des magistrats, les employés d’octrois, les administrateurs de confréries, les personnels des différentes juridictions n’auront plus de fonction.

Il chiffre ces pertes d’emplois à 100 000 et va faire une étrange proposition pour leur assurer un avenir : en faire des colons en Afrique !

La première époque de la colonisation avait vu la France s’installer aux Antilles, en Louisiane, au Canada et créer des comptoirs au Sénégal pour alimenter en main d’œuvre réduite à l’esclavage les colonies américaines. Cette période tire à sa fin et l’abolition de l’esclavage s’imposera en 1794. Précisons que Bonaparte le rétablira en 1802 avant de vendre la Louisiane en 1803 et permettre l’indépendance de Saint-Domingue en 1804.  

Une seconde époque de colonisation naitra vers 1830 en Algérie puis surtout après la défaite de 1870. La IIIème république de Léon Gambetta et de Jules Ferry s’implique fortement et pensera se justifier en prétendant apporter en Afrique les lumières de la civilisation !

Muguet imagine, dans le bouillonnement de l’été 1789, envoyer les français privés d’emploi coloniser l’Afrique dont il dit qu’elle est composée “de pays incultes, habités de sauvages, sans loi, sans mœurs, sans souverain” qu’il sera donc facile de soumettre afin d’exploiter leurs immenses richesses restées “sans maître, sans propriétaires” !

Muguet de Nanthou est-il un naïf confondant de crédulité ou un visionnaire illuminé ?

Pour lire le texte intégral de la lettre de Muguet de Nanthou envoyée à Necker: Cliquez sur ce lien

L’Affaire

Les fleurs de lys meurent à Varennes

Juin 1791, un coup de théâtre extraordinaire se produit les 20 et 21, deux années jour pour jour après le “serment du Jeu de Paume”.

La famille royale, en résidence surveillée au palais des Tuileries, s’est enfuie et a tenté de rejoindre Montmédy où des troupes fidèles, commandées par le marquis de Bouillé, l’attendent pour lancer une contre-révolution. Un des régiments stationnés à Montmédy est le Royal Dragons commandé par Claude-Antoine-Gabriel de Choiseul qui participe activement au projet.

Le carrosse a été arrêté à Varennes-sur-Argonne. L’échec est total, la royauté est discréditée et l’évènement sera à l’origine de la scission entre les constitutionnels opposés au renversement du roi malgré sa fuite, le club des feuillants autour de La Fayette, Barnave et Lameth, et ceux favorables à la république, le club des jacobins autour de Robespierre.

Muguet de Nanthou est un excellent tribun au style…très fleuri ! Il est souvent chargé de présenter à la tribune de l’Assemblées des rapports destinés à informer les députés sur des évènements, manifestation, désordres, troubles ou émeutes survenues sur le territoire national.

Il est monté à la tribune en tant que rapporteur sur des troubles intervenus à Belfort (20 janvier 91), en Alsace (11 février 91) dans le Gard (23 février 91, dans le mâconnais (22 mars 91) et même sur une insurrection corse qualifiée de fanatique le 17 juin 91 !

Il est aussi intervenu souvent sur d’autres point comme l’abolition de la mainmorte ou la loi sur l’émigration par exemple.

C’est donc naturellement lui qui est désigné pour présenter une synthèse de l’affaire, tâche dont il s’acquitte le 13 juillet.

Le texte intégral du rapport à l’Assemblée constituant se trouve en annexe 2.

Le duc de Choiseul, emprisonné après l’affaire, écrira dans sa cellule à Orléans, un livre qui raconte les mêmes évènements !

Pour être complet, on peut évoquer également le témoignage très détaillé de l’archevêque François de Fontanges longuement cité dans les mémoires rédigées par Joseph Weber le frère de lait de Marie Antoinette qui apporte son propre éclairage, également partial, sur les textes partisans de Muguet et de Choiseul.

 

Une des très nombreuses représentation de la fuite à Varennes

Une des très nombreuses représentation de la fuite à Varennes

Pour lire le rapport présenté par Muguet de Nanthou à l'Assemblée: Cliquez sur ce lien

Détail cocasse : Claude Antoine Gabriel de Choiseul est le fils de Claude-Antoine-Cléradius de Choiseul-La Baume (qui sera guillotiné en 1794) et de Diane-Gabrielle de La Baume châtelains de Pesmes. Il a épousé en 1778 la nièce d’Etienne de Choiseul, ministre de Louis XV. Leur fille Béatrice Stéphanie deviendra chatelaine de Ray-Sur-Saône en épousant Philippe Gabriel De Marmier (1783-1845) qui héritera du titre de duc de son beau-père.

Détail encore plus cocasse : La famille De Marmier est propriétaire des forges de Seveux depuis 1683. L’usine a été affermée à différents maîtres de forges successifs jusqu’en 1875. Pierre Caron (1727-1782), le beau-père de Muguet de Nanthou, a été l’un d’eux !

Claude Antoine de Choiseul

Claude Antoine de Choiseul

Dans son rapport, Muguet de Nanthou, n’hésite pas à présenter le Marquis de Bouillé et les militaires de son groupe comme uniques responsables de l’affaire de la fuite du roi et à considérer le monarque, dont la personne reste pour lui inviolable, comme une victime manipulée par des officiers factieux. “Le roi n’est pas un citoyen, mais il est à lui seul un pouvoir” affirme-t-il devant ses collègues.

Inutile de dire qu’après la condamnation et l’exécution du roi, cette bienveillance pour la monarchie lui sera largement reprochée.

Muguet de Nanthou est-il un révolutionnaire sincère ou un royaliste nostalgique et retors ?

Il s'appelait Jacinthe Muguet

A Gray

Fleur au fusil, Muguet, qui ne porte plus sa particule, veut se montrer digne de la Révolution.

Début octobre 1791, Muguet décide de quitter la vie publique et de se retirer à Soing. Il sent que l’idée d’une monarchie constitutionnelle qu’il avait portée s’éloigne depuis l’affaire de Varennes. On le dit aigri et désabusé. Il vient de refuser un très convoité poste de juge d’un tribunal parisien qu’on vient de lui proposer et se dit très honoré de remplir les fonctions de notable de Soing.

Six mois passent mais l’action lui manque. Le 1er mai 1792, il accepte le titre de Commandant de la Garde Nationale de Gray. Il vient s’installer en ville et s’attache à prendre, visiblement satisfait, une nouvelle activité.

Il est chargé de participer au recrutement des 6000 volontaires de la Haute-Saône qui font partie des 300 000 conscrits que la Convention Nationale recrute pour protéger la nation. Les jeunes Graylois sont peu enthousiastes. Dans un geste théâtral, Muguet s’inscrit le premier pour entrainer les autres. Son exemple est suivi. On le prie alors de rester car il est indispensable… Il reste !  

 

En décembre 1792, le gouvernement impose aux villes de fournir les subsistances nécessaires aux troupes. Nouveau mouvement de refus. Pour ne pas être obligé de sévir durement, Muguet, cette fois, démissionne de la Garde Nationale.

En mai 1793, Les Graylois l’élisent à nouveau commandant de la Garde Nationale mais depuis l’exécution de Louis XVI du 21 janvier 1793, il se sent mal dans sa peau d’ancien Constituant et n’accepte de servir que comme capitaine. Il faut dire qu’à Paris, commence à régner le régime de la Terreur qui va durer jusqu’au 9 thermidor an II (le 27 juillet 1794).

A la fin de 1793, il est de plus en plus contesté et considéré comme un antirévolutionnaire ce qui n’empêche pas le District de Gray de lui demander de poursuivre sa mission de fourniture de subsistances à l’armée du Rhin. Au moins s’il y a des troubles, les membres du district auront un responsable tout trouvé !

Un garde national (uniforme parisien)

Un garde national (uniforme parisien)

Pour Muguet, c’est le bouquet !

Il est membre de fait de la direction du district mais ses ennemis ne désarment pas. Le gouvernement, méfiant, envoie des émissaires dans chaque province. Sylvain-Phalier Lejeune est le représentant en mission du gouvernement pour la Franche-Comté.

Il connait bien l’ancien parlementaire dont il doute des sentiments républicains. Il finit par le faire arrêter le 11 juin 1794 au prétexte qu’il aurait “cherché par ses discours perfides à ralentir l’essor de l’esprit public dans la commune de Gray et par là à entraver la marche du gouvernement révolutionnaire”.

Depuis sa prison de Besançon, Muguet se justifie par un long mémoire. Il est soutenu par les membres du District et Lejeune, pressé de toutes parts, le fait libérer le 27 juin après 16 jours de geôle !

Coup de chance, un mois après, c’est la fin de la Terreur ! Cette fois il faut rechercher dans la population Grayloise, les meneurs extrémistes et les rendre responsables des horreurs commises sous la tyrannie de Robespierre. On en désigne six ! Muguet choisit, assez curieusement, de les défendre.

Entre temps, est arrivé en Haute-Saône, un nouveau Représentant en Mission :  Jean-Baptiste Michel Saladin.

Pas de pot pour Muguet !

Informé de l’agitation qui règne à Gray, il vient sur place et accuse Muguet de faire partie des agitateurs. Il n’hésite pas à l’accuser de “terrorisme”. Pour faire bonne mesure, il demande qu’on lui désigne 30 personnes coupables d’avoir soutenu la Terreur et fait emprisonner leur soutien présumé, Muguet, à la prison de Vesoul.

Muguet se défend avec virulence et il trouve le moyen d’attaquer Saladin avec le soutien des parlementaires Conventionnels montagnards Siblot, Dornier, Gourdan, Bolot et Balivet.

L’agitation est à son comble à Gray et il faut absolument éteindre l’incendie qui couve entre les diverses factions. On extrait Muguet de sa prison après une vingtaine de jours d’incarcération.

C’est Saladin qui va payer les pots cassés.

Finalement, Muguet revient aux affaires. Une nouvelle administration communale est installée… où il figure. Pour faire bonne mesure, Saladin est rappelé à Paris pour s’expliquer !

Muguet est blanchi et va tenter à plusieurs reprises d’obtenir les suffrages des Graylois. Il cherche à constituer des majorités de circonstances ou à influer de diverses manières sur les suffrages puis, souvent, il finit par refuser les postes obtenus !

L’ambiance municipale continuera à être délétère pendant plusieurs années jusqu’au 13 avril 1799 date des élections du Conseil des Cinq-Cents du 24 germinal an VII.  Il est élu député…mais il refuse le poste !

Arrêtons-nous un instant sur les élections du 24 germinal an VII :

Depuis le 26 octobre 1795, le régime politique est le Directoire. Le pouvoir législatif appartient à deux assemblées, le Conseil des Cinq-Cents et le Conseil des Anciens. Notre régime actuel s’est d’ailleurs inspiré de cette organisation avec l’Assemblée Nationale et le Sénat. Le général Bonaparte obtient des succès militaires en Italie et en Egypte. Il est de plus en plus présent en politique et le coup d’état du 18 brumaire (9 novembre 1799) va lui permettre d’installer le régime du Consulat, prélude de l’Empire.

Le Conseil des cinq-cents élu en avril 1799 sera le dernier et n’aura vécu qu’un été. Muguet, excellent analyste de la politique aurait-t-il compris l’inutilité d’y siéger ou existe-t-il d’autres raisons personnelles ? Nul ne sut jamais répondre à cette question.

De cette époque troublée, il nous reste un célèbre vestige :

Ce bas-relief qui orne la tribune de l’Assemblée nationale a été créé pour orner la salle du Conseil des Cinq-Cents.

Il représente autour de l’autel de la République, à gauche une allégorie de l’histoire qui va écrire sur une nouvelle page blanche l’histoire républicaine et à droite la renommée embouchant sa trompette pour annoncer le nouveau monde.

Il s'appelait Jacinthe Muguet

Ne tournons pas autour du pot !

Il est très difficile de comprendre pour quels motifs Muguet intriguait pour atteindre les places qu’il semblait souhaiter et se dérobait une fois qu’il parvenait à ses fins.

Ses contemporains se posaient déjà des questions. Dès 1792, un petit livre satyrique anonyme intitulé “Le véritable portrait de nos législateurs” avait sélectionné les 70 membres les plus influents de l’assemblée. Muguet encore appelé “de Nanthou” y apparaissait en bonne place. Le texte qui lui est consacré, qui fait référence à l’actualité de l’époque, est très féroce. Il ne lui pardonne ni ses liens avec le parti des royalistes constitutionnels ni son supposé carriérisme !

Il vaut mieux vivre dans l'obscurité que dans la boue!

Il vaut mieux vivre dans l'obscurité que dans la boue!

 Les mobiles de sa conduite louvoyante restent énigmatiques, il ne tira jamais, semble-t-il, aucun avantage de ses manœuvres. Un ambitieux, un trublion, un intrigant, un idéaliste, un utopiste…un peu tout ça sans doute !

Hyacinthe Muguet est-il un homme politique avisé et réfléchi ou un agitateur impulsif et versatile ?

A Soing

Qui tissera à Hyacinthe des couronnes de fleurs ?

Dès l’annonce de la prise de pouvoir de Bonaparte, Muguet se retire dans sa propriété de Soing et ne participe plus aux activités politiques.

La quarantaine venant, Il préfère désormais le calme et l’ombre. Pendant huit années, il remplit les fonctions de maire de Soing sans faire parler de lui.

Aurait-il fait sienne la citation du libelle qui lui est consacré : “Il vaut mieux vivre dans l’obscurité que dans la boue” ?

Louis Suchaux raconte dans sa biographie des hommes illustres du département qu’il mourut victime de son zèle pour la commune.

Il aurait été emporté par une fièvre gagnée alors qu’il s’occupait à rechercher des eaux de source pour alimenter le village.

Il n’avait que 47 ans !

Qui était vraiment François-Félix-Hyacinthe Muguet ?

Il s'appelait Jacinthe Muguet

Dans son acte de décès du 2 juin 1808, l'officier d'état civil de Soing déclare sobrement:

“Monsieur François, Hyacinthe, Félix Muguet ancien magistrat et maire de la comune de Soing est décédé en son domicile”

Il s'appelait Jacinthe Muguet
Il s'appelait Jacinthe Muguet

“Les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits.

Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune”

Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen du 26 août 1789

 

Jean-Pierre Vienney

janvier 2023

La biographie de François Muguet a fait l'objet d'une conférence donnée à Soing en janvier 2023. 

Vous pouvez accéder au diaporama Powerpoint de cette réunion en cliquant sur ce lien

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