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Le Vannon

Le Vannon

Histoire(s) de la vallée de la Saône et du Vannon


Saône...être la première des rivières plutôt que le dernier des fleuves !

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 16 Juin 2023, 09:32am

Rivière Saône crée l’évènement cette saison et se réjouit du bon tour qu’elle vient de nous jouer en sortant une nouvelle fois de son lit.

Très sollicitée, celle pour qui la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille, a bien voulu nous recevoir pour une interview.

Calme, souvent impertinente, parfois irritée, elle nous confie ses souvenirs teintés du regret de ne jamais être sortie des seconds rôles de déesses dans lesquels elle a pourtant toujours excellé.

Propos recueillis par notre correspondant en Haute-Saône: Jean-Pierre Vienney

 

Chère Madame Saône, je suis très heureux de vous rencontrer. J’ai longtemps espéré ce moment et je vous remercie de m’accorder cet entretien.

C’est pour moi un grand plaisir de pouvoir m’exprimer. On dit sur moi beaucoup de choses. Il y a beaucoup d’erreurs qui courent sur mon compte. J’ai trop souvent souffert, par le passé, d’être mal comprise. On parlerait aujourd’hui de fake niouze !

Vous êtes une très grande déesse et vos admirateurs vous appellent “La Saône” comme on dit “La Callas”. Par ailleurs, les grandes comédiennes ont toujours conservé leur titre de “Mademoiselle” Me permettez-vous de vous appeler “Chère Mademoiselle Saône” ?

Appelez-moi simplement Mademoiselle. Je vous en prie, on est entre nous !

Chère Mademoiselle donc, j’aimerais que vous nous parliez de votre jeunesse.

Tout le monde sait que je suis née dans une très modeste famille de ruisseaux vosgiens. Nous n’étions pas riches mais nous n’avons jamais manqué de rien. Les jours s’écoulaient paisiblement entre ma cousine Seine et mon amie Meuse. Nous fréquentions toutes les trois la même petite école.

Les étés étaient très agréables dans ce coin du sud de la Vôge et du plateau de Langres mais les hivers enneigés très longs nous rendaient souvent malades. Fiévreuses, gonflées et bouffies, nous déversions souvent nos excès dans les vallées. Meuse vers le nord, Seine vers l’ouest mais moi je préférais le sud. Le temps y dure longtemps, plus d’un million d’années !

Vous vous entendiez bien toutes les trois.

Avec Meuse j’étais très complice et nous ne cessions d’imaginer que nous serions un jour réunies pour la vie. On rêvait d’être reliées par un canal ou de ce genre de chose…enfin c’étaient des jeux d’enfants pleins d’imagination ! Avec ma cousine c’est différent, nous portions presque le même nom “Souconna” ou “Sauconna”. C’est tout de même un nom que nous avons emprunté à notre marraine Séquana la déesse celte qui guérit des maladies. Seine me méprisait et me traitait souvent de paysanne. Elle rêvait de la vie parisienne et de faire une grande carrière, ce qu’elle a réussi d’ailleurs. Elle ne s’est jamais mariée et a littéralement piétiné sa rivale de toujours “Icaonna” qui s’appelle aujourd’hui Yonne. Vous savez que c’est elle qui aurait dû être fleuve à Paris…

De toute façon, je ne l’ai jamais aimée… Vous nous rendez compte qu’elle est allée jusqu’à prétendre qu’elle était du pays des Séquanes alors qu’elle n’y a jamais mis le moindre orteil. Plus fort encore, elle a, en plein pays Séquane, un homonyme qui s’appelle “Saine” avec un “A”. Presque personne ne la connait, elle descend de Foncines-le-Haut et atteint Syam dans des paysages à couper le souffle. Elle arbore une gorge à damner tous les saints du paradis. Quelle femme ! D’ailleurs elle s’est mariée avec Ain pour finir pas se jeter dans les bras de Rhône. C’est elle la vraie séquane !

Enfin tout ça c’est bien loin et il est passé tellement d’eau sous les ponts !

La vie éternelle de déesse n’est pas de tout repos, je vois !

Oh ! Que non… Être déesse celte n’est pas une sinécure ! Il y a les petites déesses comme nous qui sommes les sans grades, responsables d’une seule rivière ou d’un fleuve mais nous avons des chefs. C’est très hiérarchisé chez les dieux celtes !

Il y a la R.C.S. “Responsable des Cours d’eau Sacrés”, c’est Icavellauna. Elle est très tatillonne et je la supporte assez mal. Elle est toujours sur notre dos à nous donner des ordres… sur un ton !

Il y a aussi la grande patronne, la DGVNF “Directrice Générale des Voies Navigables Franches”. C’est Belisama elle est très gentille, un peu débordée, c’est normal quand on s’occupe de tous les cours d’eau. Je l’aime beaucoup. Elle s’occupe d’un tas de choses, des artisans forgerons, des verriers, des tisserands sans parler des tâches ménagères.

Comme beaucoup de femmes, elle fait double journée, quand elle rentre le soir, elle s’occupe encore de son mari et ce n’est pas un facile ! Elle est l’épouse de Belenos…autant dire un des grands patrons. On dit d’elle que c’est une “déesse parèdre” c’est à dire associée subalterne à son compagnon…Ah, vous savez…le sort des femmes !

Elle est surbookée en permanence la pauvre. Heureusement, ça n’est pas elle qui est chargée des sources, c’est Epona. Personne ne se souvient exactement pourquoi c’est elle qui a hérité du dossier.

Enfin, tout ça est un peu trop compliqué. Il faudrait une réforme. On en parle à chaque élection mais on attend toujours !

Mais bien avant d’être cette jeune déesse que nous connaissons tous, parlez-moi un peu de vos vies d’avant.

Au début, le chaos était total dans notre coin et les obstacles nombreux rendaient nos vies difficiles. Nous changions souvent de lit. Le dérèglement climatique était habituel. Il faisait presque toujours un temps exécrable. Il y avait des tempêtes presque chaque année. C’était une époque très difficile pour nous. Je crois qu’on l’appelait “époque hercynienne” mais vous savez, moi, je n’y connais rien.

Ensuite, pendant le Trias et le Jurassique, ça allait beaucoup mieux. On vivait au bord de la mer, la température était tropicale et il y avait des reptiles monstrueux avec des noms étranges mais qui ne nous effrayaient pas du tout. Et puis vous savez on était jeunes, beaux et insouciants. J’ai adoré cette époque !

Et après…

Figurez vous que je me suis mariée une première fois mais avec un grand costaud qui descendait de la Suisse ! ça fait tellement longtemps que je ne me rappelle plus très bien son nom. Il avait un copain qui s’appelait Danube et je l’aimais bien celui-là…s’il avait voulu, enfin bref.  Je crois qu’il s’appelait “Peu” ou “Rien”…à moins que ce soit “Dos”…non c’est ça, il se nommait “Rhin”. Il était un peu obèse et parlait très mal le français. On ne s’entendait pas. On s’est séparés assez vite. Une erreur de jeunesse en somme.

Avant de choisir votre nom de… scène ! vous vous appeliez Brigule.

Ah ! non…Ne me parlez pas de ma cousine ! Oui mon nom était Brigoulos en celte très ancien. En celte gaulois on disait Brigule, c’est mon nom de naissance. Ça veut dire “rivière qui descend de la montagne” et moi, je préfère “rivière de la force ou de la puissance”. C’était un peu…ridicule ce nom et j’ai beaucoup souffert des quolibets que me lançaient mes camarades d’école et je ne vous parle pas de leurs plaisanteries un peu scabreuses.

Quand j’ai commencé ma carrière de déesse, mon entourage professionnel, qui était essentiellement constitué de jeunes Séquanes, a choisi pour moi un nom un peu plus à la mode de l’époque.

Ah ! oui, je me souviens, vous vous êtes donc fait appeler : La Rare !

Mais non, vous alors avec vos jeux de mots stupides… Je me suis nommé “Arar” ce qui veut dire à peu près “rivière des rivières”. C’est un peu différent de Brigule mais c’est surtout plus chic et plus facile à retenir. Il y a bien deux couples suédois qui se font appeler Abba !

Et quand les celtes ont parlé latin

A ce moment là j’étais déjà très connue. Comme toutes les vedettes, j’ai souffert de critiques parfois malveillantes. Il y a même un arriviste romain, un certain Jules qui s’était mis en tête de soumettre mes amis Séquanes et qui se moquait de moi en me prenant pour une girouette qui ne sait pas dans quel sens elle veut aller.

Il nous a imposé de parler sa langue. Enfin, il ne l’a pas emporté au paradis celui-là ! Toujours est-t-il que, pour commencer une carrière internationale, il fallait un nom qui sonne latin. J’ai choisi celui d’une source sacrée connue près de la ville nouvelle de Châlon que je traverse : Souconna ce qui veut dire eau sacrée ou eau divine. Le problème est que ma cousine avait choisi presque le même nom pour conquérir Paris. J’aurais dû lui faire un procès mais on m’en a dissuadée. Il y a eu un tel imbroglio que même les Celtes gaulois y ont perdu leur latin !

Heureusement les moines copistes du XIIème siècle se sont trompés et ont écrit mon nom Saoconna. Ça m’est resté ! Cela dit, de nombreuses personnes ont continué longtemps à m’appeler Arar.

J’étais une artiste très connue vous savez, adulée même. Inutile de vous rappeler qu’on a écrit pour moi de nombreuses chansons populaires. Vers 1900 la danse à la mode était une sorte de valse rapide d’origine polonaise qui s’appelait la mazurka. On en a écrit une pour moi, quelle fierté !

La mazurka de Bonnetain

La mazurka de Bonnetain

Vous avez aimé changer souvent de nom.

Pas vraiment mais ce sont les évènements et surtout la succession des influences d’abord celtique puis latine qui ont fait de moi le seul cours d’eau à avoir parcouru la vie avec des noms différents. Peut être que ce n’est pas fini !

Çà n’est pas comme cette autre qu’on appelle La Maritza en bulgare, l’Évros en grec, le Mériç en turc. Les rivières peuvent rapprocher les gens mais malheureusement, beaucoup servent à séparer les hommes. Vous vous souvenez de cette chanson…c’était comment déjà…ah oui :

La Maritza c’est ma rivière

Comme la Seine reste la tienne

Mais il n’y a que mon père

Maintenant qui s’en souvienne

Quelquefois.

Ça m’émeut toujours cette histoire d’émigré…enfin…Vous me disiez ?

Parlez-nous, s’il vous plait, de votre dernier mariage.

Ah ! là c’est une véritable histoire d’amour. Rien que d’en parler j’en suis encore tout émue. Avec Rhône on s’est connus à Lyon. Il avait un copain qui s’appelait Doubs. Ils étaient très jeunes tous les deux. Doubs était beau comme un enfant, fort comme un homme. Quand on se retrouvait, à Verdun, on mangeait des pôchouses. J’ai adoré cette période pleine d’insouciance. On était jeunes, on faisait la fête, c’était la belle vie !

Un jour Rhône m’a proposé de partir avec lui sur la côte pour voir la mer. Je ne l’avais jamais vue. Ça a été un enchantement. Il y a le Ciel, le Soleil et la Mer. C’est mon mec à moi, on ne s’est jamais plus quittés. Curieusement il a des origines suisses comme mon précédent mari. On ne se refait pas ! Mais lui il vit en France depuis longtemps.

A Lyon, je crois sans me vanter qu’on a laissé un très bon souvenir. On a conservé de nombreux amis, des artistes, des poètes qui ont écrit de très belles chansons sur notre couple, des peintres et des sculpteurs se sont inspirés de nos amours.

Beaucoup de gens considèrent qu’il y a deux fleuves dans leur ville, lui et moi. Il faut dire que “Rhône et Saône” ça ronronne bien et ça fait joli. C’est un grand honneur qu’ils me font et j’en suis très fière même si je préfère être la plus belle des rivières plutôt que le pire des fleuves !

Rhône est un être merveilleux, fougueux, plein de courage et de témérité, un grand sportif qu’il faut toujours canaliser. Tout le contraire de moi qui suis restée nonchalante, douce et soumise au moins en apparence mais je suis un peu soupe au lait. Rhône est lion et je suis plutôt tigresse !

La Saône (allégorie du pont Lafayette à Lyon)

La Saône (allégorie du pont Lafayette à Lyon)

Le Rhône (allégorie du même pont Lafayette à Lyon)

Le Rhône (allégorie du même pont Lafayette à Lyon)

Pourquoi dites-vous ça ?

Parce que je suis très calme et pondérée la plupart du temps mais j’ai des sortes d’accès de folie de temps en temps. On dirait maintenant que je suis bipolaire mais je n’aime pas ce mot. Je préfère dire qu’il faut se méfier de l’eau qui dort !

En somme, Seine a eu l’Yonne et vous vous avez Lyon !

Un peu facile le jeu de mots, enfin… si vous voulez ! Mais ne vous y trompez pas, de tous temps, les hommes ont tenté de faire de moi leur esclave.

Il y a encore un ou deux siècles, certains, qui pensaient être de bonne foi, ont décidé de me canaliser, me domestiquer et m’empêcher d’être moi-même. Je déteste être soumise et j’en ai souffert au début mais c’est comme de la chirurgie esthétique. Finalement tout le monde s’est habitué à mon nouveau visage. Enfin, aujourd’hui on n’effectuerait plus ces travaux pharaoniques avec dérivations, écluses et souterrains. On me laisserait vivre ma vie de sauvageonne. Les temps changent vous voyez !

Heureusement, vous êtes toujours là et vous semblez traverser le temps sans qu’il vous marque. Ma grand-mère disait : “Petit, n’aie pas peur de l’orage ; la Saône nous protège”.

Je crois qu’elle m’accordait des pouvoirs que je n’ai pas. J’ai été déesse mais je n’exerce plus. Je ne me souviens pas de votre aïeule mais je suis très flattée. Il y encore beaucoup de personnes qui croient en moi vous savez…c’est merveilleux après tout ce temps !

Je vous remercie, Chère Mademoiselle, pour cet entretien que vous avez bien voulu m’accorder. Je sais qu’à Lyon, vous et votre époux êtes tous les deux très vénérés. Il y a dans la ville de nombreuses œuvres d’art qui représentent votre union et l’on vous chante encore beaucoup.

La Saône, projet de l'architecte Pierre Marnotte (1797-1882)

La Saône, projet de l'architecte Pierre Marnotte (1797-1882)

Permettez-moi, pour terminer, Chère Mademoiselle, de vous offrir ces quelques paroles de la chanson “La Mulatière” que chantait Renée Mayoud dans les cabarets lyonnais :

“C’est à la Mulatère qu’ils se sont retrouvés

Le fleuve et la rivière ont vu le temps couler…

Sous les ponts de Lyon…

On l’appelle la Saône

Elle a creusé son lit

Dans les grands bras du Rhône.

Qui l’emporte avec lui”.

La Saône par Jean-Baptiste Tuby au Château de Versailles

La Saône par Jean-Baptiste Tuby au Château de Versailles

Jean-Pierre Vienney le 15 septembre 2021

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