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Le Vannon

Le Vannon

Histoire(s) de la vallée de la Saône et du Vannon


Mais que pouvait bien faire Prosper Mérimée dans les bois de Membrey en juillet 1839 ? (1/4)

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 20 Juin 2017, 13:18pm

Catégories : #Une villa gallo-romaine

Pour le savoir il suffit de lire la lettre qu'il fait parvernir au Ministre de Beaux-Arts le 14 juillet 1839.

Pour le savoir il suffit de lire la lettre qu'il fait parvernir au Ministre de Beaux-Arts le 14 juillet 1839.

De Prosper MERIMEE Inspecteur Général des Monuments Historiques
A Monsieur le Ministre des Beaux-Arts Tanneguy DUCHATEL

Lyon le 14 juillet 1839

Monsieur le Ministre,
Suivant le plan de tournée que j’ai eu l’honneur de vous soumettre et que vous avez bien voulu approuver, je me suis rendu à Membrey pour examiner les mosaïques et les substructions romaines sur lesquelles MM. Les députés de la Haute-Saône avaient appelé votre attention.
Elles sont situées à une demi lieue du village dans un bois de taillis propriété de la commune, assez près de la Saône, et du village de Seveux que l’on croit avoir été un oppidum gaulois de quelque importance.

Près du bois passe une voie romaine qui menait de Langres à Besançon. Elle est encore fréquentée et en assez bon état bien qu’on ne l’ait jamais réparée. Il est vrai que son empierrement est de près de 3 m. et qu’elle a été construite avec une précision extraordinaire.
Autant que j’en ai pu juger, les substructions de Membrey appartiennent à une villa romaine : c’est la maison d’un riche particulier, non comme on l’avait annoncé une ville toute entière, une nouvelle Pompéï.

D’un côté on a lieu de présumer que se trouvent les bâtiments habités par le propriétaire, de l’autre ceux destinés à l’exploitation du domaine. Toutefois, Monsieur le Ministre, la question n’est pas entièrement résolue et je ne puis vus présenter que les conjectures les plus probables.
Les fouilles se bornent à quelques excavations d’ailleurs dirigées avec intelligence et qui permettent de reconnaître les principaux alignements.

Le croquis ci-joint, quelque grossier qu’il soit, rendra plus intelligible la description que j’ai à vous faire.


Suit un croquis disparu et remplacé ici par le plan tiré de l’ouvrage de Maty De Latour mais dont les référence de cotes sont différentes et nécessitent un effort d’imagination !

Mais que pouvait bien faire Prosper Mérimée dans les bois de Membrey en juillet 1839 ? (1/4)

A parait avoir été un triclinum ou une salle de réception. Le dessin très élégant de la mosaïque vous a été envoyé. Cette salle a été revêtue de marbre blanc et la plinthe de placage est encore en place. La longueur de cette salle entièrement découverte est de 10 m. 35 sur 5 m.

Au point A’ elle communique avec une pièce carrée d’environ 4 m. de côté également revêtue de marbre, mais sa mosaïque assez grossière en comparaison de la précédente ne se compose que de cercles noirs entrelacés sur un fond blanc. Un mur très épais entre les salles A et B peut faire supposer qu’il y avait autrefois des étages supérieurs.

Dans l’un et dans l’autre on a trouvé beaucoup de cendres et de charbons d’où l’on doit conclure que la destruction de la villa a été occasionnée par un incendie.

On ne connait pas encore les dimensions de la salle C, mais on voit qu’elle communiquait avec les salles A et B (avec cette dernière par le moyen d’un couloir très étroit C’) sa mosaïque est bien conservée ? Elle représente une étoile à 8 pointes et est fort semblable, pour l’exécution, à celle de la chambre B.

D paraît être une salle beaucoup plus grande que les précédentes, large de 8 m. et d’une longueur non encore déterminée. Aux points D’ et D’’ on a fait des excavations qui ont partout présenté les mêmes ornemens. Le dessin de sa mosaïque est très élégant et admirablement exécuté. C’est une suite de losanges, de carrés et de parallélogrammes renfermant des rosaces et des rinceaux d’un effet très gracieux. Les couleurs sont le rouge, le noir ardoisé, le jaune, le blanc, sur un fond uniforme d’un gris très clair. Dans les trois excavations on n’a trouvé aucune avarie au pavement et il y a lieu de supposer que sa conservation est parfaite. C’était, à n’en point douter, une des pièces principales de l’habitation du maître. L’hémicycle E est une baignoire ou plutôt une piscine de 3 m. de diamètre revêtue de marbre blanc par-dessus cinq couches de ciment et une de briques.

Près de là on a reconnu en F les traces d’une hypocauste. Je présume que les murs GG marquent la façade de la villa. A l’opposite, à une distance d’environ 35 m. on a trouvé, dit-on, d’autres murs parallèles. Enfin dans l’intérieur du bois à plus de 200 m. de la piscine on aperçoit quelques autres substructions, mais point de mosaïques. De très petites chambres pourraient annoncer le logement des esclaves. En ce lieu on ne trouve pas de marbre mais seulement quelques fragments d’enduit peint à fresque, blanc et rouge.

Jusqu’à présent les fouilles ont été faites sur une très petite échelle et pour ainsi dire par un seul homme le Sr Charles Thomas, ancien sous-officier d’artillerie qui le premier a reconnu l’existence des mosaïques.

C’est à son adresse et à ses soins qu’on doit leur belle conservation qui eut été compromise par des ouvriers moins intelligents. Il recueille précieusement tous les objets qui s’offrent à la surface des mosaïques. Ce sont des fragments de placage en marbre blanc, et en marbre veiné de rouge, plusieurs médaillons GB des Antonins (Note: il semble qu'il s'agisse des 317 monnaies de Grand Bronze-GB- trouvées sur le site), quelques uns dorés, des tuyaux d’hypocauste et beaucoup de grandes tuiles hamatae, des morceaux de poterie rouge à reliefs, une pierre travaillée -que je crois un fragment d’autel- enfin plusieurs masses de scories de fer et de cuivre, qui semblent prouver que l’on s’est livré de tout temps dans ces localités à des exploitations métallurgiques.

Si je compare les mosaïques de Membrey à celles que je connais dans différentes parties de la France, je ne les regarderai que comme d’une importance secondaire. En effet, jusqu’à présent on n’y a découvert ni figures, ni inscriptions et, sauf le bon goût de leurs dessins, elles ne se distinguent pas de celles qu’on trouve si fréquemment sur l’emplacement des villas romaines.
Toutefois l’établissement de Membrey se recommande par ce fait qu’il est isolé et que, fouillé complètement, il nous offrirait l’ensemble d’une villa antique. Depuis quelques années, l’attention des antiquaires est dirigée sur les établissements de ce genre. Dernièrement, en Angleterre, on a exploré à grands frais deux villas romaines, et leur étude a jeté un grand jour sur les habitudes privées et le système d’agriculture des anciens. Nul doute que des fouilles bien dirigées à Membrey n’eussent des résultats intéressants pour la science. Toutefois, dans l’état où se trouve aujourd’hui le fonds affecté aux Monuments Historiques, je n’oserais, Monsieur le Ministre, vous proposer une semblable opération dont la dépense serait considérable.

Dans la Haute-Saône, les bois ont une grande valeur en raison des nombreuses usines qu’ils alimentent. L’hectare se paye 3000 à 4000 frs. Pour explorer complètement la villa il faudrait acheter à la commune plus de 5 hectares, or, lorsque tant de monuments exigent des réparations, on ne peut consacrer une forte somme à des fouilles qu’il n’y a jamais d’inconvénient à ajourner.

Je pense donc que quant à présent il faut se borner à explorer les bâtiments d’habitation de la villa, et déblayer les mosaïques déjà reconnues. Une somme de 800 frs. suffirait à cette dépense à laquelle il faudrait ajouter une indemnité à la commune pour la portion de bois détruite. Elle s’élèverait au plus à 400 frs. Enfin je vous proposerai d’accorder 300 frs. de gratification au Sr Ch Thomas pour les soins qu’il a donnés jusqu’à présent aux exploitations et pour sa surveillance continuelle. Tout cela fait une somme de 1500 frs. qui pourraient être répartis sur deux exercices, 1000 frs. en 1839 et 500 frs. en 1840.

La commune de Membrey sollicite un secours de Mr. Le Ministre de l’Instruction Publique pour bâtir une école. Si ce secours était accordé, j’ai tout lieu de croire qu’elle ne demanderait pas d’indemnités pour les petites portions de bois qu’il faudrait sacrifier. 

Peut-être, Monsieur le Ministre, jugerez-vous à propos d’appuyer cette demande auprès de votre collègue et je ne doute pas qu’il prenne en considération le désir d’intéressement qu’a montré jusqu’à ce jour la commune de Membrey en faisant ouvrir à ses frais la grande mosaïque (A) découverte d’abord, et en permettant des travaux assurément nuisibles à ses bois.

J’aurai l’honneur de vous envoyer prochainement quelques observations sur plusieurs localités que j’ai visitées avant de me rendre à Membrey.

Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, votre très humble et très dévoué serviteur.


Pr. Mérimée
Inspecteur général des monuments historiques
Lyon le 14 juillet 1839

 

A la lecture de sa longue lettre on voit que Prosper Mérimée était aussi fin politique qu'il était fin lettré ! 

Un très intéressant rapport de 1846, qu'il a lui même rédigé, fait le bilan de ses années de direction à l'inspection générale des monuments historiques et on peut y lire la liste complète des monuments et sites ayant obtenu grâce à lui, une subvention entre 1840 et 1846!

Pour revenir à notre sujet, aujourd'hui on ne distingue plus, sur place, que quelques pierres vagement alignées qu'il est difficile d'attribuer à l'ancienne et élégante villa de mosaïques et de marbres qui fit tant réver au XIXème siècle!

 

Grandeur et décadence...c'est là tout ce qu'il reste!

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Mais que pouvait bien faire Prosper Mérimée dans les bois de Membrey en juillet 1839 ? (1/4)
les dessins des mosaïques effectués à l'époque (vers 1840) parlent d'eux-mêmes!

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