Pourqui le maire de Membrey a-t-il acheté une casquette et un cache-nez le 2 novembre 1870?

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 14 Juin 2017, 16:10pm

La mairie au dessus de l'école vers 1900

Le 19 juillet 1870 la France déclare la guerre à la Prusse. Le 2 septembre, Napoléon III est fait prisonnier à Sedan et demande l'armistice. Le 4 septembre, la IIIème République est proclamée et un gouvernement de la défense nationale est installé, Léon Gambetta en est le ministre de l'intérieur.

A Membrey, le bruit de ces évènements parvient tardivement et un peu étouffé. Charles Rolland y exploite une entreprise de travaux publics et un café auberge qui est tenu par une employée du nom de Viard. Très méticuleux, il rédige au jour le jour un agenda détaillé qui lui tient lieu de livre de comptes et qu'il suffit de lire pour comprendre l'histoire.

Le 12 octobre arrive le courrier de la Préfecture de la Haute-Saône qui, conformément aux règles de l'époque, nomme Charles Rolland à la charge de Maire de la commune de Membrey. Le 15 octobre, il refuse cette distinction mais accepte d'être "Conseiller municipal faisant fonction de maire".

La guerre continue. Le 26 octobre, l'armée prussienne quitte Besançon et se dirige vers Gray puis Dijon à la rencontre de l'armée de partisans italiens et de mercenaires commandée par Guiseppe Garibaldi. Plusieurs vagues de militaires, qui viennent de traverser la forêt de Belle-vaivre puis la Saône à Seveux, vont envahir Membrey entre le jeudi 27 et le dimanche 30 octobre.

Les choses se gâtent le lundi 31 octobre au matin. Dans la nuit, Charles Rolland "est partit (sic) prisonnier des allemands à Vesoul sans en connaitre le motif autre que celui imputé à Viard d'avoir mis de l'eau dans leur vin" !!!

Charles Rolland est en garde à vue toute la journée du mardi de la toussaint et est remis en liberté le mercredi 2 novembre à 11 heures mais "il faut attendre jusqu'au soir pour obtenir un laissez passer"

Il fait frisquet à Vesoul et, arrété dans la précipitation, Charles Rolland qui va devoir mettre presque une journée pour rentrer à Membrey, a besoin de s'équiper.

Il fait "l'acquisition d'une casquette 3 fr 00, d'un cache-nez 3 fr 00 et d'un col à boutons 0 fr 65. Total 6 fr 65". Il paye au concierge de la prison 15 fr 00 et, le jeudi 3 novembre déclare: " revenu de Vesoul, sorti à 6 heures du matin, arrivé à Scey-sur-Saône à 10 heures, déjeuner avec Mathieu et Racine et pris le café à la pension Racine. Sorti à midi et demie et rentré à 4 heures".

Pendant ce temps, le Conseil Municipal, traumatisé à juste titre par l'arrestation de leur maire, ne reste pas inactif.

Après réflexion mais sans comprendre exactement la situation, les élus et la population réunie autour d'eux décident d'une démarche diplomatique.

Celui qui a la plus belle calligraphie rédige une lettre-pétition en forme de supplique destinée au Général commandant les troupes prussiennes. La requête est difficile et nécessite de faire preuve d'habileté, de finesse et de tact sans donner dans la servilité.

En voici le texte intégral:

A Monsieur le Général en chef de l'armée Allemande en occupation dans le département de la Haute-Saône.

Général,

Dans la nuit du 30 au 31 octobre, le sieur Rolland Charles, administrateur de notre commune a été arrêté par les troupes Allemandes pour répondre d'un fait qu'il ignorait complètement et que nous ingnorions tous.

Ami de l'ordre et de la justice, il a fait tout ce qui était en son pouvoir pour bien recevoir les troupes allemades; et si, les réquisitions demandées n'ont pas toutes été livrées, faute ne doit point lui en être attribuée, puisqu'il était captif.

Tout cela, Général, nous vous l'affirmons sur notre conscience.

En conséquence, nous vous supplions de ne point permettre, en faisant peser sur lui la responsabilité d'un acte dont nous ne pouvons nous rendre compte, que sa famille, si digne d'intérêt à tous égards, soit plus longtemps dans le deuil, et de le rendre à la liberté.

Daignez agréer, Général, l'hommage sincère du plus profond respect des membres du conseil municipal et des principaux habitants de la Commune de Membrey.

Membrey, le 3 novembre 1870.

Suivent les signatures d'une cinquantaine d'habitants de la commune.

Cette lettre peut apparaître comme une maladresse mais elle est surtout marquée par l'attachement amical de ses signataires soudainement emportés par un évènement qui les dépasse.

Charles Rolland ayant été libéré le même jour, elle ne fut jamais expédiée.

Elle est toujours restée dans ses archives personnelles, preuve touchante de la solidarité villageoise.