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Le Vannon

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Histoire(s) de la vallée de la Saône et du Vannon


Pour faire des faux, il faut du fer... mais le fer des faux fait défaut!

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 13 Février 2018, 15:21pm

Catégories : #Le XIXème siècle

Pour faire des faux, il faut du fer... mais le fer des faux fait défaut!

Jusqu'au XIXème siècle,dans la forêt de Membrey, on creusait de nombreuses mines peu profondes, appelées minières. On peut en voir encore les emplacements aujourd'hui alors que la nature ne cesse d'effacer traces et souvenirs.

Creusons...

Nous sommes à la fin du printemps de 1811, le 31 mai, une catastrophe minière vient de se produire à Membrey. De nombreux mineurs sont ensevelis. On compte trois morts et de nombreux blessés. Le préfet de la Haute-Saône prend un arrêté rédigé comme suit:

Arrêté du Préfet de la Haute-Saône

Du 8 juin 1811

Concernant les minières.

Le Préfet de la Haute-Saône:

Informé que plusieurs propriétaires et maîtres de forges à qui la permission d'extraire du minerai de fer a été accordée, font cette extraction non à ciel ouvert, comme le prescrit la loi du 21 avril 1810 (bulletin 285), mais au moyen de puits, creusés le plus souvent sans précaution, et dont l'éboulement des terres écrase et étouffe les ouvriers, ce qui est arrivé les 9 et 31 mai derniers, entre Francourt et Renaucourt et à Membrey, où trois hommes ont péri, et où plusieurs ont été blessés grièvement:

Considérant qu'il importe, en réprimant ces contraventions à la loi sur les mines, de prescrire des mesures qui préviennent désormais les accidents funestes qu'elles viennent d'occasionner,

ARRÊTE:

Art.Ier: Il est très expressément défendu à tous propriétaires, maîtres de forge et à toute personne ayant obtenu la permission d'extraire du minerai de fer, de faire cette extraction autrement qu'à ciel ouvert, et de creuser des puits ou autres excavations souterraines, à peine de perdre les permissions qu'ils ont obtenues, et d'être poursuivis et punis conformément aux articles 95 et 96 de la loi du 21 avril 1810.

Art.II: Toute extraction de minerai contraire à ce qui est prescrit ci-dessus, cessera de suite, sur l'ordre qu'en donnera le maire de chaque commune sur le territoire de laquelle elle aurait lieu ; et, en cas de refus de la part des exploitants, il sera dressé contre eux, par les gardes champêtres et forestiers, des procès-verbaux, qui seront affirmés dans les formes et délais prescrits par les lois, et adressés en originaux au procureur impérial, pour être, les contrevenants, poursuivis et punis en police correctionnelle. (Titre 10 de la loi).

Art.III: Le sous-préfet de Gray fera constater de suite l'état d'exploitation des minières entre Renaucourt et Francourt et à Membrey, et il sera statué, à vue des procès-verbaux et des rapports et avis du sous-préfet, ce qu'il appartiendra.

Art.IV: Le présent arrêté sera imprimé, inséré au prochain numéro du Diurnal, lu et publié dans toutes les communes, à la diligence des maires, et notifié par leurs soins à toutes les personnes qui ont obtenu la permission d'extraire du minerai de fer.

Fait à Vesoul, les jour, mois, et an susdits, 

Signé le Préfet, HILAIRE

 

Deux siècles ont passé dans le bois de Membrey...

Deux siècles ont passé dans le bois de Membrey...

Comment les choses se passaient-t-elles dans les minières de Membrey et de tout l'ouest du département de la Haute-Saône?

Comme on le voit dans le texte de l'arrêté préfectoral, le métier de mineur de fer était extrèmement dangereux. 

Depuis le milieu du XVIIIème siècle de nombreux entrepreneurs avaient obtenu l'autorisation d'exploiter le minerai de fer.

Le débat a été vif entre les paysans propriétaires des terres agricoles et ceux qui désiraient creuser pour trouver le fer nécessaire à l'industrie naissante.

Les gouvernements sucessifs ont dù imposer progressivement la règle juridique selon laquelle le sous-sol n'appartient pas au propriétaire du sol. Les juristes on bataillé longtemps. Cette disposition, difficile à accepter pour le monde agricole, a permis d'imposer la présence d'exploitants de mines et minières obtenant leur autorisation de l'Etat et venant concurrencer les exploitants agricoles. Souvent issus de la noblesse ou de la bourgeoisie des négociants locaux, ils s'imposaient parfois sans vergogne.

Dans l'ouest de la Haute-Saône, il se trouve qu'il suffit de creuser au bon endroit, en bordure du plateau calcaire le long des vallées sculptées par les cours d'eau dans la roche pour trouver une argile contenant une sorte de sable brun rouge, le minerai de fer sédimentaire datant du pliocène ou du pléistocène. Ce sable irrégulier, une fois séparé de la gangue par lavage dans le cours d'eau, lequel est forcément proche, devient un riche minerai contenant jusqu'à 30 et même 40% de fer.

Les minières sont donc de simples trous d'environ 5 mètres de diamètre et de profondeur au fond desquels se trouve la terre sableuse tant convoitée.

Il était évidemment tentant, lorsqu'on trouvait un bon filon, de creuser des galeries horizontales pour extraire le plus de minerai possible. L'étayage des boyaux était sommaire et les accidents meurtriers inévitables.

Un schéma vaut mieux qu'un long discours!

Un schéma vaut mieux qu'un long discours!

Et l'encyclopédie de Diderot montrait le processus de lavage du minerai avec le patouillet installé au fil d'un cours d'eau.

Et l'encyclopédie de Diderot montrait le processus de lavage du minerai avec le patouillet installé au fil d'un cours d'eau.

Et la métallurgie haute-saônoise dans tout ça...

Depuis longtemps on sait donc extraire de la terre argileuse le minerai de fer, produire de la fonte et la transformer, plus ou moins bien,en acier. Le département en est même, au XIXème siècle, l'un des plus gros producteurs de France. Les mines et minières sont fréquentes surtout dans l'ouest du département. On y compte entre 100 et 120 gîtes de minerai. 

Les hauts-fourneaux, les forges et fonderies, aux mains des maîtres de forges sont présents dans de nombreux villages.

On transporte le minerai lavé vers un haut fourneau où il est placé en couches alternées avec du charbon de bois qui produira assez de chaleur pour fondre le fer.

Mais le mystère, et d'ailleurs, le secret, de l'opération est qu'il est impossible, par ce procédé, d'obtenir du fer!

On obtient  en réalité un alliage de fer et de carbone. La présence de charbon nécessaire au chauffage a une autre fonction, il a l'excellente idée de se mèler au fer dans des proportions diverses (autour de 5 à 6 %) pour produire un métal cassant mais facile à mouler: la fonte!

Et il va en falloir des années de recherches et de tâtonnements pour, partant de la fonte, obtenir des aciers plus ou moins durs, plus ou moins souples, plus ou moins ductiles ou élastiques et propres à être forgés, laminés, polis, affutés...etc.

 

C'est surtout la fonte, facile à produire et à travailler par moulage, qui va faire la fortune du département

C'est surtout la fonte, facile à produire et à travailler par moulage, qui va faire la fortune du département

La crise agricole aura raison de l'ancien régime.

A partir de 1784 la France connaît une série de crises agricoles. Les mauvaises années succèdent les unes aux autres. Les récoltes sont catastrophiques, les étés pluvieux ne permettent pas de terminer les moisson et le blé pourrit parfois sur pied.

Le cours de la farine s'envole, la spéculation va bon train. Dans les villes, le prix du pain absorbe 90% du revenu ouvrier et en 1788 débute même une famine qui finira par être une des causes de la révolution.

Les gouvernements successifs recherchent des solutions, l'une d'elles concerne les pratiques agricoles jugées archaiques et qu'il faut moderniser. Jusque là, les moissons se font lentement, à la faucille et nécessitent la présence d'une main d'oeuvre énorme. Toute la population est mobilisée. On estime que le seul département de l'Aube accueille 20 000 parisiens le temps des deux semaines que dure la moisson en juillet de chaque année. S'il pleut, c'est la catastrophe!

 

Ne pas confondre la grande faucille de moissonneur avec celle que l'on connaît habituellement

Ne pas confondre la grande faucille de moissonneur avec celle que l'on connaît habituellement

Le constat est catastrophique:

Il existe bien un outil qui augmenterait la productivité dans de grandes proportions. Connu de longue date, il vient d'être modernisé par l'adaptation d'un nouveau modèle de lame finement martelée, très amincie et extrèmement efficace.

Si l'on veut sortir de la crise, la faux et l'usage de faux s'impose!

Seulement voilà...Les industriels français ne savent pas fabriquer l'acier qui sert à forger ces lames, le secret de sa métallurgie est anglais. Ils ne savent d'ailleurs pas plus les former, les souder et les affuter. Pour l'instant les lames de faux sont fabriquées en Rhénanie et surtout dans une province autrichienne, la Styrie qui n'a pas du tout l'intention de dévoiler ses méthodes de production.

Il ne reste plus qu'à importer entre 70 000 et 100 000 lames de faux chaque année et à souhaiter qu'aucun conflit ne viendra interrompre ce commerce... sinon, c'est la famine assurée!

 

La faux, son enclumette et sa massette destinées à battre le tranchant de la lame pour l'affuter

La faux, son enclumette et sa massette destinées à battre le tranchant de la lame pour l'affuter

Le gouvernement de Necker en 1788- 89 puis les gouvernements révolutionnaires et enfin l'Empire et la Restauration ont recherché des solutions:

l'une d'elles concerne les pratiques agricoles jugées archaiques et qu'il fallait moderniser en formant les paysans et l'autre la recherche d'une formulation d'acier doux et de techniques de forge adaptées à la production du nouvel outil.

Les savants de l'époque, Lavoisier, Monge et bien d'autres furent mis à contibution pour faire évoluer la métallurgie.

Des concours dotés par l'état furent organisés auprès des industriels pour récompenser les meilleures découvertes techniques.

Ce n'est qu'aux environs de 1825-27 que les faux produites en France purent rivaliser avec celles venues de l'étranger...40 ans d'efforts!

Mais les Maîtres de Forges de la Haute-Saône ne se sont pas intéressés à ce problème et l'affinage de la fonte en acier et en fer est toujours resté, chez nous, une activité marginale ou tardive...il y avait une opportunité à saisir...

Le train de la modernité est passé, il ne fallait pas rester sur le quai!

A Monthureux les Gray, il y avait, comme à Renaucourt, Seveux, Baignes, Fallon et bien d'autres villages une production importante de fonte et, un tout petit peu, d'acier et de fer.

Vous saurez tout sur cette industrie en lisant l'excellent article sur le sujet paru dans le Blog de Patrick MATHIE 

Principales références bibliographiques:

JACOB, Jean-Paul et all. De la mine à la forge en Franche-Comté- Besançon 1990

ROSENTHAL, Patrick. Les minerais de fer de Franche-Comté-  Besançon 1990-91

TRESSE, René. Annales Economies, Société, Civilisation-  Paris 1955

 

 

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