Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Le Vannon

Le Vannon

Histoire(s) de la vallée de la Saône et du Vannon


Les Bons-Cousins-Charbonniers Francs-comtois étaient-t-ils Francs-charbonniers ou Francs-maçons?

Publié par Jean Pierre VIENNEY sur 6 Août 2018, 13:50pm

Catégories : #Le XIXème siècle

Les Bons-Cousins-Charbonniers Francs-comtois étaient-t-ils Francs-charbonniers ou Francs-maçons?

Commençons par le commencement... 

Les charbonniers exerçaient, au XIXème siècle, un métier forestier indispensable au développement industriel qu'il est important de rappeler avant d'aller plus loin.

Le bois, chauffé à l'abri de l'air, se décompose en charbon, en goudrons, en liquides et produits volatils...Le charbon issu de la combustion partielle du bois est en réalité du carbone presque pur.

On peut obtenir du carbone à partir du bois c'est le charbon de bois, à partir de la houille c'est le charbon de terre, à partir des os des animaux c'es le noir animal ou, plus rarement, à partir de la tourbe. 

Depuis toujours, les activités industrielles humaines ont consommé (et consomment de plus en plus) énormément de carbone!

Au XIXème siècle il en fallait déjà beaucoup pour de nombreuses utilisations:

-réduire le minerai de fer et produire de la fonte, de l'acier et du fer.

-cuire de la pierre calcaire pour obtenir la chaux indispensable à la construction.

-produire de la poudre de chasse ou de guerre. 

-fabriquer des peintures et enduits de couleur noire.

-filtrer et clarifier les jus de fruits et les sirops alimentaires. 

-et évidemment...se chauffer!

Presque toute la production de carbone était réalisée dans nos forêts par les charbonniers. Ils édifiaient des charbonnières à partir de petits rondins de bois de moins de 8 cm de diamètre et 80 cm de long, la charbonnette qui n'est plus utilisée aujourd'hui que pour réaliser des pizzas au feu de bois!

Ces professionnels savaient obtenir différentes qualités de charbon en fonction du type de bois utilisé et de la température de cuisson:

- à 150° on obtient du bois fortement désséché et très résistant appelé brûlot

- à 270° on obtient du charbon roux facile à allumer c'est du flambant

- à 280° le charbon devient friable, s'enflamme spontanément à 340° et peut servir à fabriquer de la poudre de chasse

- à 340° on obtient un charbon noir qui s'enflamme à 370°à l'air et peut servir à fabriquer de la poudre à canon

- à 1200-1500° le bois ne fournit plus que 15% de charbon très noir qui ne s'enflamme qu'à haute température. C'est du carbone presque pur destiné à la métallurgie.

Pas évident tout ça...et il fallait, en plus, produire ces différentes qualités de charbon en pleine forêt en réalisant de grandes meules où l'on empilait patiemment les petits rondins. L'édifice était ensuite couvert d'un gobetis de terre pour cuire à l'étouffé.

On l'allumait puis on le laisse brûler doucement pendant plusieurs jours en conduisant le feu avec beaucoup d'attention pour obtenir le résultat souhaité et la distillation précise des nombreux autres composés chimiques (alcools, acides, goudrons...) contenus dans le bois.

Loin d'être des sortes de vagabonds plus ou moins voleurs de poules que l'on imagine souvent, les charbonniers professionnels étaient les techniciens d'une matière première indispensable à une industrie encore en devenir.

Ce travail très fastidieux sera tardivement simplifié par l'arrivée de fours métalliques, constitués de deux grands anneaux et d'un couvercle qu'on empilait ce qui évitait le long effort de gobetage de la couverte de terre...mais on sent bien que la fin du métier était programmée! 

On empile savament la charbonnette

On empile savament la charbonnette

Puis on conduit le feu qui couve pendant plusieurs jours

Puis on conduit le feu qui couve pendant plusieurs jours

Vers les années 1870, la houille va progressivement prendre la place du bois. En distillant de la houille, on obtient du charbon utilisable en métallurgie, le coke (et on produit acessoirement du gaz d'éclairage). L'extraction de la houille supplantera bientôt définitivement l'exploitation du charbon de bois dans la métallurgie du fer et... les charbonniers quitteront progressivement les forêts et leur étrange métier de maîtres du feu et d'alchimistes du bois.

 Carte postale qui représente un groupe de charbonniers de la forêt d'Othe près de Troye vers 1900

Carte postale qui représente un groupe de charbonniers de la forêt d'Othe près de Troye vers 1900

Mais vers 1830 Isidore Taylor et Charles Nodier décrivaient déjà la même scène en Haute-Saône!

Mais vers 1830 Isidore Taylor et Charles Nodier décrivaient déjà la même scène en Haute-Saône!

Parfois on découvre encore au détour d'un chemin, dans les broussailles, les restes abandonnés d'un four à charbon métallique.

Beaucoup de blogueurs s'intéressent à la production traditionnelle des dérivés de la distillation du bois, pour en savoir plus sur la fabrication du charbon de bois (en Auvergne) cliquez sur ce lien ... Il y a même plein de vidéos...très enfumées!

L'écomusée "les baraques du 14" animé par des passionnés sur la commune de La Vieille Loye, dans l'immense forêt de Chaux à quelques kilomètres de Dole, donne une idée assez émouvante de la vie des forestiers, bucherons et charbonniers au XIXème siècle.

Un vieux four à charbon de bois

Un vieux four à charbon de bois

Quelles étaient les conditions économiques?

Le salariat tel que nous le vivons actuellement n'existait pas, il faudrait plutôt parler de sous-traitance ou de marché de gré à gré. 

Les représentants de maîtres de forges passaient des marchés avec des charbonniers, en général chefs de famille, qui s'engageaient sur un volume et une qualité de livraison de charbon. Le prix était négocié et définitivement fixé. Les charbonniers pouvaient avoir la charge de trouver eux mêmes des sources d'approvisionnement mais, dans la pluart des cas, les maîtres de forges avaient passé des marchés de fournitures forestières quand ils n'étaient pas eux-mêmes propriétaires de la forêt ce qui n'était pas rare!

Revenons à nos Bons Cousins:

Dès le XVIIIème siècle, les charbonniers qui vivaient leur rude existance forestière commencèrent à s'organiser.

L'époque était très favorable au développement industriel et leur activité prenait rapidement de l'ampleur. Les maîtres de forges voyaient les besoins en métaux ferreux exploser. Il fallait de plus en plus de charbon de bois pour alimenter les premiers hauts fourneaux. On recrutait sans cesse de nouveaux charbonniers pour exploiter sans vergogne des étuendues forestières de plus en plus grandes.

Il fallait organiser la profession, la formation, la solidarité, l'entraide et les relations avec les proriétaires forestiers et les clients métallurgistes.

Leur rude vie, nomade par définition, en fonction des exploitations forestière, leur éloignement des villages, leur endogamie plus ou moins choisie, leurs relations difficiles avec les paysans peu enclins à les laisser circuler sur leurs terres et exploiter "leurs" forêts, leur caractère farouche et contestataire, leur sentiment d'être exploité bouillonnaient ensemble dans le creuset de leur instinct tribal.

Les hommes sont grégaires. Ils s'organisent volontiers en groupes, sociétés, syndicats, associations, ligues, unions, coalitions, communautés, confréries, ententes...et développent rapidement les codes de reconnaissance indispensables à l'appartenance au groupe.

Alors...sont nées de très nombreuses sociétés plus ou moins secrètes ou discrètes...Les Bons-Cousins-Charbonniers très présents en Franche-Comté sont l'une d'elles.

Les rituels forestiers, ont rapidement foisonné un peu partout. Ils furent nombreux à se réclamer d'une origine très ancienne... parfois un peu légendaire! 

De très nombreux sites Internet font référence aux anciennes sociétés secrètes rurales. Pour se faire une idée, le lecteur consultera avec intérêt le site "rites forestiers des anciens".

Les Bons-Cousins-Charbonniers Francs-comtois étaient-t-ils Francs-charbonniers ou Francs-maçons?

Et d'opérative, l'association devint spéculative:

Les sociétés des Bons-Cousins-Charbonniers  avaient souvent, à leur origine, un but  "opératif" et de compagnonnage corporatif:

-contrôler les recrutements 

-proposer et gérer la formation technique

-organiser le secours mutuel 

-gérer la relation avec les différents donneurs d'ordres, fournisseurs de bois et acheteurs de charbon 

-fixer des prix d'achat du bois et de vente du charbon

-prévoir les successions au sein du groupe et l'évolution professionnelle des membres.

Puis les buts se sont naturellement élargis:

-du recrutement on est parfois passé à la cooptation familiale...le jeune devient le gendre!

-de la formation professionnelle on est passé à l'idéologie...la dicussion politique est devenue fréquente!

-de la relation commerciale on est passé au contôle de la probité des membres...la formation morale (et religieuse) reste présente!

-le libre exercice concurrentiel a facilement cédé la place à l'entente sur les prix!

-de l'évolution professionnelle on est passé au maintien de secret des méthodes de travail...et au culte du secret tout court!

Et enfin, les objectifs de ces socitétés ont progressivement quitté le strict domaine professionnel en s'ouvrant à des membres cooptés, d'abord proches comme les maîtres de forges et leurs collaborateurs puis de plus en plus éloignés des préoccupations forestières en acceptant des fonctionnaires, des prêtres, des intellectuels des notables ou de simples bourgeois... en quête de dépaysement ou même, dit-on, de soirées festives!

Les Bons-Cousins-Charbonniers Francs-comtois étaient-t-ils Francs-charbonniers ou Francs-maçons?

Nos Bons-Cousins s'inscrivent naturellement dans un vaste mouvement de sociétés humaines qui va du compagnonnage aux organisations spéculatives (les Francs-Maçons) ou plus directement politiques (les Francs-Charbonniers ou Carbonari italiens).

N'entrons pas dans le vaste domaine de l'étude des rituels et symboles pratiqués lors des réunions , les "Ventes" qui se tenaient sous bonne garde au fond des bois. Le livre de Pierre MERLIN, François LASSUS, Dominique VUAILLAT, Jean-François RYON et Christian FOYER: "Bons cousins charbonniers, autour d'un catéchisme de la société secrète 1835" édité en 2005 aux éditions du Folklore comtois à Nancray répond de manière détaillée à de nombreuses questions.

Le lecteur pourra se faire une idée des pratiques rituelles existant au cours des réunions de sociétés charbonnières en lisant l'une des éditions de différents rituels accessibles aujourd'hui.

J'en ai retenu deux:

-Un rare catéchisme d'apprentis de 1803

-Le catéchisme (cité plus haut) de 1835

Leur parenté évidente avec les rituels maçonniques n'aura, évidement, échappé à personne.

 

Essayons d'y voir un peu plus clair:

Les Compagnons du Devoir: "Servir sans s'asservir ni se servir".

La légende fait remonter leur exitence à la réalisation du temple de Salomon. Nés des corporations,il restent très attachés aux valeurs professionnelles d'éthique, de travail bien fait, de transmission du savoir, de richesse de l'expérience... ce qui n'empèche pas les rivalités internes et la coexistance complexe de groupes, fédérations, unions, associations...Ils sont l'exemple même d'une organisation qui n'est jamais sortie de sa stricte dimension professionnelle.

Les Francs-Maçons:  "recherche de la vérité,étude de la morale et pratique de la solidarité"

Née officiellement de la Grande loge maçonnique de Londres en 1717, la franc-maçonnerie s'est organisée autour des Constitutions d'Anderson de 1723 et s'est développée en France à partir des années 1720-30 sous l'influence des exilés jacobites anglais.

Les francs-maçons n'hésitent pas à se présenter comme les fils spirituels d'Hiram architecte-constructeur du temple de Salomon...décidément!

Les Charbonniers et les Carbonari:

Ils naissent en France en 1818 après la chute de Napoléon et en opposition à la restauration. Mouvement éminemment politique il n'a de cesse d'entretenir un climat insurrectionnel en France, en Italie en Espagne et au Portugal. Leur nombre et leur importance politique déclinera lentement à partir de1840-50, une partie de leurs objectifs étant atteints.

La charbonnerie franco-italienne est toujours bien vivante, l'excellent site Internet bilingue "carboneria" où l'on trouve une foule de renseignements historiques en est la preuve.

 

Et la Franche-Comté dans tout ça...

Elle est un peu le berceau de l'ensemble de ces mouvements. C'est ici que les Bons-Cousins sont le plus nombreux. Vers 1820-1840, à l'apogée du mouvement, on compte une cinquantaine de groupes locaux (qui portent le nom de "Ventes" à la différence des francs-maçons qui se réunissent dans des "Loges").

Il y a des Bons-Cousins partout où il y a des forêts en exploitation. Comme le mouvement est surtout rural, on compte par exemple:7 ventes à Besançon (celle de Bregille est la plus connue) mais aussi des groupes à Salins, Lons-le-Saunier, Dole, Saint Vit, Pesmes, Ancier, Gray, Poligny, Dampierre-sur-Salon, Levier, Pontarlier, etc. On en compte aussi à Beaune, Dijon, Châlon sur Saône et Nuits-Saint-Georges. Les autorités de l'époque semblaient prendre les ventes des bons-cousins pour d'aimables soirées festives et s'inquiétaient très peu de leur éventuelle action sociale ou politique.

Les évènements de décembre 1851 où l'on vit des Bons-cousins jurassiens s'insurger contre le coup d'état de Louis Napoléon Bonaparte ne confirment pas forcément la position des autorités de l'époque.

Pour les Francs-maçons, le mouvement, présent depuis 1764 à Besançon, est essentiellement urbain et n'a jamais réellement eu de lien très fort avec un milieu opératif de bâtisseurs. Les loges des différentes obédiences aux nuances aussi subtiles que nombreuses n'ont occupé que les villes principales: Besançon, Dole, Vesoul, Lons-le-Saunier, Gray pour ne citer qu'elles. C'est incontestablement la maçonnerie bisontine qui joue un rôle moteur et primordial au XIXème siècle en étant le creuset des idées progressistes et républicaines et également en se faisant le relais de la philosophie saint-simonienne.

Les Francs-Charbonniers et les Carbonari italiens ont trouvé dans les loges maçonniques bisontines une base arrière très pratique (et d'accès facile) pour leurs activités politiques aussi secrètes que dangereuses aussi bien en France qu'en Italie. Giuseppe Garibaldi entretiendra par ce canal des liens étroits avec la franc-maçonnerie bisontine qui soutiendra ses efforts lors des guerres de l'indépendance italienne.

Il s'en souviendra lors de sa participation à la guerre de 1870 en se présentant, avec son armée, à Besançon sans toutefois y recevoir l'accueil enthousiaste qu'il aurait souhaité...bien loin de là! 

 

Quelques noms...bien ou...moins bien connus:

Pierre-Joseph BRIOT (1771-1827) wikipédia

Pierre-Joseph BRIOT (1771-1827) carboneria

Joseph BONAPARTE (1768-1844) wikipedia

Joachim MURAT (1765-1815) wikipedia

Armand BAZARD (1791-1832) wikipedia

Auguste BLANQUI (1805-1881) wikipedia

Giuseppe GARIBALDI (1807-1882) wikipedia

 

Et quelques questions...

-Quelle fut, selon les époques, la population des charbonniers professionnels en Franche-Comté?

-Combien d'entre eux furent Bons-Cousins? les Bons-Cousins étaient-t-ils majoritaires au sein de la profession?

-Combien de membres, de loges ou de ventes comptaient les sociétés secrètes franc-comtoises au XIXème siècle?

-Combien de franc-comtois étaient membres, à la fois, de plusieurs sociétés secrètes?

-Quelle est réellement la relation, ou l'éventuelle filiation, entre Bons-Cousins et Francs-Charbonniers?

-Quel rôle a joué l'évolution de la métallurgie dans la disparition de la profession de charbonnier puis l'extinction des Ventes de Bons-Cousins?

-La république, à partir de 1871, en proposant le projet politique qu'elles avaient soutenu, a-t-elle étouffé les sociétés secrètes progressistes?

-etc...

 

Et...pour terminer, donnons la parole (ou plutôt le stylo) à Jean-Baptiste Dornier.

En juillet 1832, riche oisif et fils d'un très puissant Maître de Forges, il se promène avec son cocher sur ce qu'il appelle "la route des romains" entre La Chapelle Saint Quillin et Seveux dans la forêt de Belle Vaivre.

Pris dans un très violent orage, ils trouvent refuge auprès de Bons-cousins qui exploitent une charbonnerie...Lisez la suite! (source Gallica-BNF).

La conclusion, s'il y en a une, est, peut-être, proposée dans son livre "Bons-cousins charbonniers" par Pierre Merlin:

...en 1864, les Francs-maçons français levaient aux côtés des Républicains, et contre l'Empire, le flambeau d'une démocratie qui se voulait universelle. Le 30 avril 1871, une Fédération de Francs-maçons de Paris favorables à la Commune se souvint encore des Bons-cousins en lançant un appel aux loges de province et aux "Bien chers frères charbonniers" pour la défense de la République.

On sait que les derniers Bons-cousins de Gray rejoignirent la Franc-maçonnerie vers 1875.

Mais, s'agit-t-il vraiment d'une conclusion...

Frontispice du catéchisme (rituel d'apprenti initié) de 1803

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents